Elisabeth Carecchio (c)
L’Opéra-Comique vient de présenter la Cendrillon de Jules Massenet (sur un livret en quatre actes de Henri Cain, d’après Charles Perrault) sous la direction de Marc Minkowski. Le spectacle était littéralement enchanteur et le succès au rendez-vous.
Créé le 24 mai 1899 au même endroit, ce conte de fée en musique est la dernière Cendrillon du XIXe siècle, l’ultime pièce d’une série inaugurée en 1806 par Alexandre et Constant et surtout illustrée par la version d’Etienne et Nicolo Isouard en 1810, mais qui compte également la Cenerentola de Rossini (1817) et une trentaine d’adaptations pour tous les théâtres et dans tous les genres possibles et imaginables (mélodrame-fantaisie, grand ballet pantomime, folie-vaudeville, folie-parodie, etc.). L’engouement était si fort que les auteurs ne se privaient pas de persifler sur le succès de la recette :
Sur la vogue des Cendrillons
Tout le monde, aujourd’hui, spécule ;
Aussi pièces, chapeaux, bonbons,
Usurpent ce nom sans scrupule. (La Famille des Cendrillons)
Le plaisir est intact cent onze ans plus tard. Grâce au livret de Cain qui ménage une amusante alternance des tons et suscite l’ambiguïté finale du songe-folie de Cendrillon. Grâce à la musique de Massenet (pas si facile dans les numéros comiques où l’amplitude des sauts vocaux est extrême pour Mme de La Haltière et ses deux vilaines filles si mal nommées Noémie et Dorothée ; très mélodieuse dans les passages féeriques), servie par l’acoustique excellente de la salle et le talent des interprètes (Blandine Staskiewicz en Cendrillon, Michèle Lozier, « soprano de sentiment », en Prince Charmant, Eglise Gutiérrez en Fée ; le chœur et les Musiciens du Louvre-Grenoble au grand complet).
Grâce également à la mise en scène intelligente de Benjamin Lazar qui délaisse ici le XVIIe siècle pour mieux y revenir : le parti pris est de développer l’une dans l’autre la vision du XIXe siècle que nous avons (architecture métallique tendance Elle déco, costumes à baleines et messieurs à moustache) et la vision qu’avait le XIXe du XVIIe siècle (perruques et fontanges). De fait, Torelli peut, depuis son Olympe, se féliciter d’avoir inauguré en 1650 avec Andromède les voleries qui sont ici renouvelées ; et Corneille peut continuer à bougonner que les praticables grincent pendant les changements à vue… même si le dommage est minime aujourd’hui. Le tout avec beaucoup de simplicité par rapport à la surcharge du livret d’origine : les bibelots sont de simples silhouettes, le carrosse de Cendrillon une construction façon machine à coudre Singer faite de guéridons emboîtés au moment de la transformation.
Quant à la nouveauté de l’époque, la fée électricité (celle qui est la vraie marraine de la pièce puisque celle-ci était prévue pour inaugurer la troisième salle Favart et mettre en valeur son nouvel équipement électrique), elle est adaptée à notre moderne avancée des diodes électroluminescentes. L’effet est des plus magiques : la scène centrale de la pièce où, comme dans Pyrame et Thisbé, les deux amoureux chantent séparés, fait scintiller dans la pénombre le buisson de fleurs enchantées qui les écarte, et la Fée clignote avant d’apparaître (le costume lumineux de Cendrillon est moins réussi puisqu’il la grossit terriblement). Le spectacle se présente en outre sous les auspice d’un document sonore où Massenet s’essaye à la nouvelle technologie d’enregistrement de la voix (ce qu’il conclut d’un ironique « Je suis le mort qui parle » d’un effet saisissant) et utilise, fondu dans la représentation, quelques images d’archives montées par la Cinémathèque en guise d’apparition féerique pendant le bal. Si l’on ajoute à ces merveilles électriques la danse de plusieurs Loïe Fuller qui suggèrent les Esprits de la Fée, la quintessence du XIXe siècle finissant était ainsi magnifiquement convoquée, évoquée, invoquée.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, Opéra-Comique, mars 2011.
Le spectacle était retransmis en direct sur Radio Classique le 9 mars.
Un enregistrement existe chez Sony et le livret est consultable en ligne : www.karadar.com/librettos/massenet_cendrillon.html
On pourra en outre consulter deux catalogues d'exposition de la Bibliothèque nationale de France consacrés aux contes de fées et à Cendrillon en particulier : Il était une fois... les contes de fées, Seuil-BNF, 2001, et Cendrillon à l'Opéra et quelques autres scènes parisiennes [...], mars-juin 2001.
Ainsi qu'en ligne, le dossier sur Cendrillon : http://www.bnf.fr/contes/gros/cendrill/index.html
Le titre de cet article est tiré de Jean Anouilh, « Le carrosse inutile », Fables, Paris, La Table ronde, 1963.
Créé le 24 mai 1899 au même endroit, ce conte de fée en musique est la dernière Cendrillon du XIXe siècle, l’ultime pièce d’une série inaugurée en 1806 par Alexandre et Constant et surtout illustrée par la version d’Etienne et Nicolo Isouard en 1810, mais qui compte également la Cenerentola de Rossini (1817) et une trentaine d’adaptations pour tous les théâtres et dans tous les genres possibles et imaginables (mélodrame-fantaisie, grand ballet pantomime, folie-vaudeville, folie-parodie, etc.). L’engouement était si fort que les auteurs ne se privaient pas de persifler sur le succès de la recette :
Sur la vogue des Cendrillons
Tout le monde, aujourd’hui, spécule ;
Aussi pièces, chapeaux, bonbons,
Usurpent ce nom sans scrupule. (La Famille des Cendrillons)
Le plaisir est intact cent onze ans plus tard. Grâce au livret de Cain qui ménage une amusante alternance des tons et suscite l’ambiguïté finale du songe-folie de Cendrillon. Grâce à la musique de Massenet (pas si facile dans les numéros comiques où l’amplitude des sauts vocaux est extrême pour Mme de La Haltière et ses deux vilaines filles si mal nommées Noémie et Dorothée ; très mélodieuse dans les passages féeriques), servie par l’acoustique excellente de la salle et le talent des interprètes (Blandine Staskiewicz en Cendrillon, Michèle Lozier, « soprano de sentiment », en Prince Charmant, Eglise Gutiérrez en Fée ; le chœur et les Musiciens du Louvre-Grenoble au grand complet).
Grâce également à la mise en scène intelligente de Benjamin Lazar qui délaisse ici le XVIIe siècle pour mieux y revenir : le parti pris est de développer l’une dans l’autre la vision du XIXe siècle que nous avons (architecture métallique tendance Elle déco, costumes à baleines et messieurs à moustache) et la vision qu’avait le XIXe du XVIIe siècle (perruques et fontanges). De fait, Torelli peut, depuis son Olympe, se féliciter d’avoir inauguré en 1650 avec Andromède les voleries qui sont ici renouvelées ; et Corneille peut continuer à bougonner que les praticables grincent pendant les changements à vue… même si le dommage est minime aujourd’hui. Le tout avec beaucoup de simplicité par rapport à la surcharge du livret d’origine : les bibelots sont de simples silhouettes, le carrosse de Cendrillon une construction façon machine à coudre Singer faite de guéridons emboîtés au moment de la transformation.
Quant à la nouveauté de l’époque, la fée électricité (celle qui est la vraie marraine de la pièce puisque celle-ci était prévue pour inaugurer la troisième salle Favart et mettre en valeur son nouvel équipement électrique), elle est adaptée à notre moderne avancée des diodes électroluminescentes. L’effet est des plus magiques : la scène centrale de la pièce où, comme dans Pyrame et Thisbé, les deux amoureux chantent séparés, fait scintiller dans la pénombre le buisson de fleurs enchantées qui les écarte, et la Fée clignote avant d’apparaître (le costume lumineux de Cendrillon est moins réussi puisqu’il la grossit terriblement). Le spectacle se présente en outre sous les auspice d’un document sonore où Massenet s’essaye à la nouvelle technologie d’enregistrement de la voix (ce qu’il conclut d’un ironique « Je suis le mort qui parle » d’un effet saisissant) et utilise, fondu dans la représentation, quelques images d’archives montées par la Cinémathèque en guise d’apparition féerique pendant le bal. Si l’on ajoute à ces merveilles électriques la danse de plusieurs Loïe Fuller qui suggèrent les Esprits de la Fée, la quintessence du XIXe siècle finissant était ainsi magnifiquement convoquée, évoquée, invoquée.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, Opéra-Comique, mars 2011.
Le spectacle était retransmis en direct sur Radio Classique le 9 mars.
Un enregistrement existe chez Sony et le livret est consultable en ligne : www.karadar.com/librettos/massenet_cendrillon.html
On pourra en outre consulter deux catalogues d'exposition de la Bibliothèque nationale de France consacrés aux contes de fées et à Cendrillon en particulier : Il était une fois... les contes de fées, Seuil-BNF, 2001, et Cendrillon à l'Opéra et quelques autres scènes parisiennes [...], mars-juin 2001.
Ainsi qu'en ligne, le dossier sur Cendrillon : http://www.bnf.fr/contes/gros/cendrill/index.html
Le titre de cet article est tiré de Jean Anouilh, « Le carrosse inutile », Fables, Paris, La Table ronde, 1963.